Dans un rapport conjoint déposé le 11 juillet, la Délégation sénatoriale aux outre-mer et la délégation aux droits des femmes dressent un état des lieux de la diversité et de la complexité des situations familiales
dans les territoires ultramarins et formulent vingt recommandations pour mieux accompagner la parentalité.
Apporter une meilleure connaissance des familles des outre-mer et de leurs besoins et mieux accompagner les parents. C’est l’ambition d’un rapport sénatorial émanant d’un travail conjoint entre des membres de la délégation sénatoriale aux outre-mer (Stéphane Artano, Sénateur de Saint-Pierre-et- Miquelon (Rassemblement Démocratique et Social Européen) et Victoire Jasmin (Sénatrice de la Guadeloupe (Socialiste, Écologiste et Républicain) et de la délégation aux droits des femmes (Annick Billon Sénatrice de la Vendée (Union Centriste) et Elsa Schalck, Sénatrice du Bas-Rhin (Les Républicains)) déposé et présenté à la presse le 11 juillet dernier.
« Dans un contexte où les codes de la parentalité ne cessent d’être bousculés, il est primordial de s’interroger sur les politiques publiques aujourd’hui déployées en faveur du soutien à la parentalité. Le défi est de les dimensionner et les adapter à la hauteur des besoins et des spécificités des outre-mer, dans une approche transversale et non stigmatisante » introduit la synthèse de ce rapport.
En plus de dresser un état des lieux des différentes situations de parentalité dans les outre-mer, suite à cinq mois de travaux communs, près de 120 personnes auditionnées et un déplacement en Guadeloupe, à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy, les rapporteurs formulent vingt recommandations. Et ce, afin que « le soutien à la parentalité outre-mer ne soit pas le parent pauvre des politiques familiales ». Tout en pointant des différences profondes dans l’organisation familiale qui génèrent des inégalités durables, ils interrogent la pertinence des politiques publiques dans les territoires ultramarins. Leurs recommandations s’articulent autour de quatre axes : mieux sensibiliser aux enjeux et responsabilités de la parentalité; aider et accompagner les familles précaires et vulnérables ; renforcer les services de proximité pour tous ; soutenir les acteurs associatifs et mieux coordonner les actions.
Prévalence de la monoparentalité et forte précarité
Dans les territoires ultramarins, les modèles familiaux traditionnels sont fondés, selon le rapport qui s’appuie sur une démarche anthropologique, sur la « matrifocalité » et une forte solidarité intergénérationnelle. Toutefois, la diffusion du mode de vie occidental contemporain, la transition démographique et les différentes migrations entraînent une mutation de ces modèles et des normes d’éducation. Les rapporteurs considèrent donc que pour répondre au mieux aux besoins des familles et accompagner les parents dans leur rôle, il est essentiel de comprendre les déterminants socio-économiques et les dynamiques familiales spécifiques à chaque territoire. Ils recommandent ainsi la généralisation des Observatoires de la parentalité, en s’inspirant de l’expérience réunionnaise, pour récolter, exploiter et diffuser données et connaissances.
Le rapport sénatorial rappelle également que les territoires ultramarins se distinguent par une forte prévalence de monoparentalité. Mais à l’inverse de l’Hexagone, celle-ci ne résulte généralement pas d’une séparation et commence dès la naissance puis se poursuit pendant la majorité de l’enfance. Parmi les familles avec enfant, les familles monoparentales atteignent une proportion de 59 % en Martinique, 52 % en Guadeloupe, 46 % en Guyane, 38 % à La Réunion contre 25 % dans l’Hexagone.
Le rapport pointe également un enjeu majeur d’égalité femmes-hommes en la reconnaissance des enfants par leur père. En effet, la part des naissances non reconnues par le père est très élevée dans les Outre-mer : 54 % en Martinique, 63 % en Guadeloupe, 68 % en Guyane, 26 % à La Réunion contre seulement 10 % dans l’Hexagone. Les sénateurs recommandent alors de reconsidérer la place du père dans les politiques familiales en luttant contre les idées reçues relatives aux effets sur le bénéfice des prestations familiales d’une reconnaissance légale par le père et en associant davantage les pères aux dispositifs de soutien à la parentalité.
Autre enjeu relevé par ce rapport : les grossesses précoces et/ou non désirées. Et ce, suite à un constat de taux élevé d’IVG qui s’explique souvent « non pas par un échec de la contraception mais par un refus de la pilule », ainsi qu’à 10 % de maternités précoces (moins de 20 ans) en Guyane et à Mayotte où selon les sénateurs, « la maternité apparaît comme un moyen d’acquérir un statut ». Ils recommandent alors non seulement de dispenser, par des professionnels formés, dans tous les collèges et lycées des outre-mer les séances obligatoires d’éducation à la vie affective et sexuelle et de développer la prévention des grossesses précoces. Mais aussi de conforter les dispositifs permettant aux jeunes mères de concilier leur vie familiale et le Service militaire adapté (SMA).
Les sénateurs constatent en outre que l’exercice des fonctions parentales est rendu d’autant plus complexe que s’ajoutent souvent à cette prévalence de la monoparentalité, précarité et vulnérabilité. Ainsi, tandis que la moyenne nationale tourne autour des 15 %, le taux de pauvreté atteint 28 % en Martinique, 35 % en Guadeloupe, 37 % à La Réunion, 53 % en Guyane et 77 % à Mayotte. Le taux d’illettrisme est par ailleurs trois fois supérieur dans les DROM par rapport à l’Hexagone. « En outre, le Français n’est pas la langue maternelle d’une part significative de la population (90 % des Mahorais, 70 % des Guyanais). De nombreux habitants ne le parlent pas au quotidien » ajoutent-ils avant de recommander de : décliner l’information sur les politiques familiales et parentales sur des supports adaptés à la diversité des populations concernées, et de développer les projets combinant lutte contre l’illettrisme et l’illectronisme et soutien à la parentalité.
Des pistes pour mieux soutenir la parentalité
La première des solutions à apporter réside selon les sénateurs par l’apport de prestations et de services à la hauteur des besoins. « Dans les quatre DROM historiques, le mouvement de convergence des prestations est presque achevé. Deux grandes différences subsistent : le versement des allocations familiales dès le 1er enfant et les conditions d’octroi du complément familial. En revanche, à Mayotte, les conditions d’ouverture des droits et les plafonds demeurent différents » indique le rapport.
Contrairement aux idées reçues, si 63 % des habitants des DROM perçoivent au moins une prestation sociale ou familiale (contre 47 % dans l’Hexagone) et que 5,5 M des 100 Md€ de prestations versées par la CAF l’ont été dans les DROM, de nombreuses familles n’ont pas connaissance des prestations et des dispositifs d’aide dont elles pourraient bénéficier, ou ne prétendent par à leur bénéfice. Les rapporteurs recommandent alors de réaliser une étude comparative des incidences budgétaires et socio-économiques pour les familles des différents systèmes de prestations sociales entre l’Hexagone et les territoires ultramarins. Mais aussi, afin d’améliorer l’accès aux droits et l’« aller-vers », de consolider la présence des CAF au plus près des familles et de développer des guichets uniques.
En outre, afin de garantir la scolarisation et un meilleur accueil des enfants sur tout le territoire, ce qui constitue un enjeu d’égalité des chances pour les enfants et d’insertion professionnelle pour les parents, les rapporteurs recommandent de faire du futur service public de la petite enfance une opportunité pour rattraper le retard des outre-mer en matière de mode de garde et de renforcer l’accueil collectif des enfants en dehors du temps scolaire. En effet, en Guyane 10 000 enfants en âge d’aller à l’école primaire n’y ont pas accès et 9 200 à Mayotte, ce qui s’explique par un manque d’établissements scolaires et d’enseignants mais aussi des lacunes dans les transports et la restauration scolaires.
Renforcer les politiques publiques
Les sénateurs préconisent d’accompagner les parents le plus tôt possible, dans tous les moments de leur vie de parent, y compris les plus difficiles. « Les cinq dispositifs principaux de soutien à la parentalité (réseaux d’écoute et d’appui aux parents ; lieux d’accueil enfants-parents ; contrats locaux d’accompagnement à la scolarité ; médiation familiale ; espaces rencontres) et le programme des « 1000 premiers jours » sont inégalement déployés dans les outre-mer » dénoncent-ils. Ils recommandent ainsi d’accélérer, en l’adaptant, le déploiement du programme des « 1 000 premiers jours ». Mais aussi, lorsque le domicile est éloigné du centre médical adapté, de proposer des solutions d’hébergement temporaire pour les femmes enceintes ou bénéficiant d’une assistance médicale à la procréation et les parents des grands prématurés. Par ailleurs, de densifier les lieux d’accueil enfants-parents et les écoles des parents, en particulier en Guyane, à Mayotte et à Saint-Martin où des plans urgents de rattrapage sont nécessaires. Et enfin, de développer les mesures judiciaires d’aide éducative et d’aide à la gestion du budget familial.
Enfin, afin de renforcer les acteurs locaux de proximité et mieux coordonner les actions, ils recommandent, dans le cadre de la convention d’objectifs et de gestion Etat-Cnaf 2023-2027, d’inscrire un volet « soutient à la parentalité outre-mer » qui autoriserait notamment les CAF à financer des projets à 100 % et augmenterait les crédits disponibles pour développer les services aux familles. Également, pour les associations, d’accroître la part de financements pluriannuels et de les inciter à s’appuyer sur les fédérations nationales pour monter en compétences (formation, ingénierie administrative…). Puis de simplifier et renforcer la gouvernance de la politique de soutien à la parentalité.
(Par Fanny Fontan)