En France, malgré la répression des actes de violence à l’encontre des femmes, 1 femme meurt toutes 2.5 jours et la prévalence est plus forte dans les territoires d’Outre-mer. Sept ans après son avis sur le sujet, le CESE réalerte sur ces chiffres et poursuit son combat contre les violences faites aux femmes dans les Outre-mer. Le CESE a adopté à l’unanimité le 26 novembre dernier une résolution intitulée « Amplifions la lutte contre les violences faites aux femmes dans les Outre-mer ».

« Qu’elles soient verbales, physiques, sexuelles, psychologiques, économiques, les violences sont en augmentation sur tous les territoires d’Outre-mer pour lesquels les chiffres existent » déplore le Conseil économique social et environnemental. Sept ans après son avis sur le sujet, et malgré la mise en application de certaines de ses préconisations, le CESE constate que « la problématique demeure et, pire, que les violences dans les territoires ultramarins, notamment au sein des couples, se sont encore accrues sur la période ». Face aux résultats décevants des actions mises en place, le CESE décide donc de réalerter sur les chiffres et de poursuivre son combat contre les violences faites aux femmes dans les Outre-mer.

Le 26 novembre, au lendemain de la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes et de l’annonce de mesures par le Premier ministre, le CESE consacrait sa séance plénière à ce sujet. La résolution intitulée « Amplifions la lutte contre les violences faites aux femmes dans les Outre-mer », présentée au cours de cette séance par Inès Bouchaut Choisy (Groupe des Outre-mer) et Viviane Monnier (Groupe des Associations) a été adoptée à l’unanimité avec 115 voix pour.

Comportant 42 pages, cette résolution se divise en trois parties. D’une part, le constat des niveaux de violences faites aux femmes toujours très élevés dans l’ensemble des territoires ultramarins. D’autre part, le bilan décevant de la mise en œuvre des 40 recommandations du CESE en 2017. Enfin, le CESE propose cinq leviers d’actions.

Devant la multiplicité des formes de violence dont sont victimes les femmes en Outre-mer, le CESE avait fait le choix, en 2017, de se pencher plus particulièrement sur les violences au sein du couple. Et c’est aussi sur cela que se concentre cette résolution. « Les violences s’intègrent dans la persistance de stéréotypes de genre très ancrés en Outre-mer dont découlent de fortes inégalités familiales, sociales et économiques » avance le CESE. En témoigne selon son rapport, l’écart persistant, bien que diminuant, en termes d’accès à l’emploi entre hommes et femmes en Outre-mer. Il évoque le rapport Justine Bénin, coordinatrice inministérielle de la lutte contre les violences faites aux femmes en Outre-mer, qui souligne que la précarité, supérieure de 5 à 15 fois à la France hexagonale, est un facteur aggravant des violences. « La proportion de familles monoparentales parmi les familles avec enfants peut aller jusqu’à 59 % dans certains territoires (pour 25 % en Hexagone), souvent en situation de grande précarité, et la part des naissances non reconnues par le père jusqu’à 68 % (10 % en Hexagone). La prostitution de jeunes mineures, qui peut être corrélée à un contexte social et familial complexe et empreint de violences intrafamiliales ou sexuelles, semble elle-aussi en forte augmentation » poursuit le CESE. Il ajoute que l’accès à l’emploi est aussi beaucoup plus difficile pour les femmes, secteurs privé et public confondus. Ainsi, seules 43 % des Réunionnaises de 15 à 64 ans sont en emploi, c’est 8 points de moins que les hommes. A Mayotte, l’accès à l’emploi des femmes est même en recul, passant de 27 % de femmes en emploi en 2019 à 24 % en 2022, contre 66 % dans l’Hexagone. En Nouvelle-Calédonie, 56 % des femmes ont un emploi, soit 16 points de plus que vingt ans auparavant, mais seules 46 % des femmes Kanak sont en emploi. Les femmes sont aussi bien moins représentées en politique. Seule une femme pour sept hommes est présidente d’une grande collectivité.

Le CESE constate également qu’en plus de ces contextes économiques et sociaux dégradés et de ces inégalités de genre persistantes, les violences faites aux femmes dans les Outre-mer s’inscrivent aussi dans de nouvelles problématiques : le dérèglement climatique.  En outre, toujours selon le CESE, le poids de la culture, des traditions, des religions et de la colonisation joue encore beaucoup dans la définition des normes sociales et, a fortiori, des inégalités de genre. « Ainsi, le seuil de tolérance à la violence est plus élevé dans les Outre-mer que dans l’Hexagone, les normes de virilité et de démonstration de cette virilité y sont très prégnantes » écrit-il. Et d’ajouter que le silence des victimes, dicté par une solidarité intrafamiliale favorisant le tabou autour de la dénonciation d’un parent, se conjugue avec une inversion de la culpabilité sur les victimes qui seraient ainsi déloyales à leur communauté, avec en filigrane une crainte fréquente des représailles. « Le poids des coutumes s’ajoute à ces freins et le rôle des Eglises est souvent majeur dans le silence des femmes, la protection des agresseurs ainsi que la propagation de certains stéréotypes défavorables aux femmes ». En outre, la forte consommation d’alcool est un facteur aggravant des violences conjugales. Le CESE écrit en note que le procureur de Nouvelle-Calédonie Yves Duprat indique en entretien que, dans 80 % des cas de violences conjugale, l’agresseur ou l’agresseuse et l’agressée sont alcoolisés. D’après l’enquête VIRAGE, l’alcool joue aussi dans les violences conjugales à La Réunion mais beaucoup moins aux Antilles. Le CESE déplore également que le nombre de féminicides n’ait pas diminué ces dernières années en Outre-mer. Selon le chiffre du ministère de l’Intérieur et des outre-mer, en 2022, 13 féminicides au sein du couple ont été dénombrés en Outre-mer : 2 en Guadeloupe, 2 en Polynésie française, 3 en Nouvelle-Calédonie, 3 en Guyane, et 3 à La Réunion. Soit 11 % du total des féminicides en France pour une population égale à 4 % de la population française. Rapportés à la population, les taux de morts violentes au sein du couple placent la Guyane, la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française comme les territoires ayant les niveaux les plus élevés de France. D’après l’enquête VIRAGE, 15 % des femmes à
La Réunion sont en situation de violences conjugales en 2018, 18 % en Martinique et 19 % en Guadeloupe. Cela représente à peu près 3 fois plus que la moyenne nationale. « Ces chiffres ne connaissent aucune baisse depuis dix ans. Toutefois, il existe un fort accroissement des violences psychologiques pour lesquelles les campagnes de prévention sont quasi inexistantes » constate le CESE. Il rapporte également un doublement des conflits et disputes au sein du couple, principalement dus à la jalousie et au contrôle des femmes, particulièrement dans des territoires comme La Réunion, où les femmes sont entrées massivement sur le marché du travail entre 2002 et 2018.

Parallèlement, le CESE déplore des limites importantes concernant le dépôt de plainte et la judiciarisation des violences ainsi qu’une une sous-déclaration de ces violences en Outre-mer. Les questions d’accès aux droits ou de manque de place en hébergement d’urgence ont été régulièrement évoquées en Guadeloupe, à Mayotte, en Nouvelle Calédonie et en Polynésie française par les associations et les déléguées régionales aux Droits des Femmes et à l’Égalité. « Des dispositifs judiciaires de protection sont mis en place sur tous les territoires mais les politiques pénales appliquées ne sont pas homogènes : en Nouvelle-Calédonie, le nombre d’ordonnances de protection (OP) est en augmentation. Il croît aussi à Mayotte et à La Martinique, où 80 % des demandes d’OP sont suivies d’effet, alors que ce dispositif semble peu appliqué et même souvent refusé en Guadeloupe » abonde le CESE. Quant au bracelet anti-rapprochement qui permet de géolocaliser un auteur de violences conjugales et disponible en Martinique, Guadeloupe, Guyane, Nouvelle- Calédonie, à Mayotte et à La Réunion, l’insularité le rend peu efficient. Enfin Les téléphones grave danger (TGD) sont également disponibles sur les territoires d’Outre-mer. Leur nombre semble croître régulièrement, étant passé par exemple en Nouvelle-Calédonie de 3 en 2020 à 15 au premier semestre 202430, 95 étant délivrés en Martinique. Toutefois, en Guyane, certains des téléphones disponibles ne sont pas utilisés.

Dans sa deuxième partie, la résolution du CESE fait le bilan des mesures mises en œuvre suite à la publication de son rapport en 2017. Il note une connaissance des violences faites aux femmes encore trop partielle malgré l’augmentation du nombre d’études et de rapports. Il constate un accompagnement insuffisant des victimes, des financements fragiles et encore trop faibles. Et enfin, des professionnel(le)s mieux formés et sensibilisés mais des actions peu coordonnées.

Le CESE propose donc cinq orientations politiques pour enrayer les violences faites aux femmes dans les Outre-mer. La première est de ne pas se résoudre aux violences dans les outre-mer, de surcroit lorsqu’elles frappent davantage les femmes : « lutter contre les violences faites aux femmes, c’est aussi, plus généralement, questionner toutes les formes de violences qui s’exercent sur les territoires ultramarins ».

La deuxième est de permettre à l’ensemble des territoires de connaître, de cerner et d’appréhender leurs formes multiples. Le CESE préconise ainsi d’étendre l’enquête VIRAGE aux onze territoires ultramarins, car elle n’a été menée que sur trois. Idem pour les Observatoires régionaux des violences faites aux femmes présents seulement sur trois des onze territoires également. « Les données recueillies doivent servir à alimenter un Observatoire national dédié aux violences faites aux femmes dans les Outre-mer pour avoir des chiffres fiables et homogènes, indispensables pour établir des politiques publiques solides » ajoute le CESE. Mais aussi le CESE juge indispensable que le poste de coordinateur interministériel contre les violences faites aux femmes dans les Outre-mer soit pourvu rapidement. « Ce poste est essentiel pour garantir une articulation fine entre le national et le local sur la problématique » considère-t-il. Il ajoute que la lutte contre les violences faites aux femmes doit être inscrite dans tous les objectifs stratégiques des plans pluriannuels de convergence et de transformation de ces territoires.

La troisième recommandation du CESE est de soutenir celles et ceux qui luttent quotidiennement en pérennisant leurs moyens. « Au-delà du coût humain et social, les violences faites aux femmes ont un coût financier dont le montant est estimé à près de 4 milliards d’euros au niveau national dans l’avis du CESE de 2017 » souligne ce dernier.

La quatrième recommandation est de faire prendre consicence aux élu(e)s de l’ampleur de ce fléau et de ses conséquences. Le CESE constate en effet que l’engagement de ces dernier(e)s est très inégal selon les territoires et qu’ils restent globalement insuffisamment investis sur ces problématiques. « Les délégations aux droits des femmes et aux Outre-mer, qu’elles soient issues du Parlement ou du CESE, doivent tisser des liens utiles avec le ou la coordinatrice interministérielle pour réfléchir collectivement aux politiques publiques à déployer. L’ensemble des Conseils économiques sociaux et environnementaux régionaux ont aussi pleinement leur rôle à jouer sur ces sujets, à l’instar du CESECEM de Martinique » ajoute le CESE.

Enfin, le CESE appelle chacune et chacun mais surtout les organisations patronales, syndicales et les organisations de la société civile, à ouvrir les yeux sur l’ampleur des violences faites aux femmes dans l’ensemble de la société et à réorienter les victimes vers des interlocuteurs appropriés. « Le CESE, représentant de la société civile organisée, produit ici son troisième appel en dix ans pour lutter contre les violences faites aux femmes90. En 15 ans, quatre plans interministériels de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes, dont le dernier a pris fin en 2016, ont été élaborés. Depuis, la thématique est incluse dans un plan interministériel plus global pour l’égalité entre les femmes et les hommes » rappelle-t-il. Puis de conclure qu’au-delà de la collecte des données, des dispositifs et de la sensibilisation des élues et élus, « ce sont en effet plus largement tous les rapports sociaux et particulièrement les rapports entre les femmes et les hommes qui doivent évoluer ».